Procès de l’attentat du Musée juif : la défense d’Unia tord le cou à l’acte de défense de Nemmouche

Me Dounia Alamat, conseil du centre pour l’égalité des chances Unia, a entamé la dernière plaidoirie de partie civile jeudi matin, au procès de la tuerie au Musée juif de Belgique. L’avocate a dénoncé le “positionnement de victime” de Mehdi Nemmouche et l’agressivité de sa défense.

Les parties ont fait face à une défense “hors-norme” qui a privé la cour d’un débat contradictoire, ne respecte pas les règles et prend les jurés “en otage”, estime Me Alamat. “Nous avons tous été déstabilisés par cette théorie du complot sans hypothèse.”

Pour l’avocate, la défense de Mehdi Nemmouche tente de “séduire” les récepteurs auxquels elle s’adresse, à savoir la cour et la société dans son ensemble. Face à des faits “atroces”, le complot vaut mieux que la thèse d’un “acte gratuit”, a-t-elle relevé. D’autant plus dans une société où le dogme a moins de place, où l’esprit critique et le doute sont devenus des valeurs plus importantes que la religion pour répondre à la quête de sens des individus, a poursuivi Me Alamat. “À force d’entendre répéter quelque chose, on finit par douter.”

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La défense “a largement occupé l’espace, s’est mise en scène pour construire un personnage de victime”, a dénoncé le conseil d’Unia. Elle se dit “seule contre tous, érudite et jusqu’au-boutiste”. Le droit au silence de Mehdi Nemmouche serait sa “seule option face aux manipulations de l’enquête ?”. Il en a pourtant fait usage dès sa première audition, a rappelé l’avocate.

La défense se plaint des conditions de détention de l’accusé, rappelle son enfance difficile, mais ce “positionnement de victime ne doit recevoir aucun écho de votre part”, a adressé Me Alamat aux jurés. “Son régime de détention, ce n’est pas le Club Med, mais ce qu’on vous raconte, c’est tout à fait exagéré. La comparaison avec les geôles syriennes est indécente. Et son enfance difficile n’est pas un élément important pour juger de sa culpabilité. Au contraire, cela nous permet de comprendre comment il en est arrivé à se radicaliser, comment il est arrivé ici.”

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L’avocate a aussi dénoncé les méthodes de la défense de Mehdi Nemmouche, qui a accusé les juges d’instruction et experts d’avoir truqué le dossier. Il faut “un minimum” d’éléments pour porter de telles accusations, surtout si l’on ne demande aucun devoir complémentaire ou expertise pendant quatre ans d’enquête, estime-t-elle. Il y a eu, lors du procès, un “dénigrement constant” des intervenants, mais “rien qui remet en cause leurs constatations”. C’était une “déferlante d’agressivité gratuite”, a dit Me Alamat.

Pour la défense, il y a “les gentils”, à savoir eux, et les “méchants”, soit toutes les autres parties. “Vous n’avez pas à choisir. La défense est-elle seule contre tous ? Oui ! Mais sommes-nous tous pourris ? Vous apprécierez”, a-t-elle encore indiqué au jury.

“Des propos racistes”

Me Dounia Alamat s’est également dite “personnellement choquée” par certains propos que les avocats de Mehdi Nemmouche ont tenu pendant les débats, des propos qu’elle estime racistes. Me Alamat a noté plusieurs commentaires prononcés par les avocats de Mehdi Nemmouche durant les débats et les a répétés devant la cour d’assises de Bruxelles, rappelant notamment que la défense avait sous-entendu qu’on aurait refusé l’entrée d’un lieu à Mehdi Nemmouche “parce qu’il était arabe“.

Me Alamat a aussi fustigé les préjugés sur les juifs avancés par la défense de Mehdi Nemmouche, notamment le fait que les juifs sont tous riches, puissants et malins. Elle a également déploré des “raccourcis insultants pour les victimes”. “Cette stratégie de défense est nuisible pour notre société car elle prend racine dans des préjugés, elle nous divise, elle cloisonne… On devient désobligeant et on attaque l’autre dans ce qu’il est. C’est navrant que des avocats se prêtent à ce jeu-là”, s’est-elle exprimée, dénonçant encore une “agressivité qui parfois devient raciste“.

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Me Alamat n’y est pas allée de main morte ni avec la défense de Mehdi Nemmouche qu’elle qualifie d'”absurde”, basée sur “un argumentaire qui est totalement parti en vrille”, ni avec l’accusé principal lui-même qu’elle décrit comme quelqu’un qui n’est “pas supérieur et pas intelligent mais qui se croit juste plus malin que tout le monde”.

La jeune pénaliste a terminé sa plaidoirie en affirmant aux jurés qu’elle ne doutait pas qu’ils rendraient un verdict de culpabilité car “des arguments de la défense, en réalité, il n’y en a pas”. Mais – a-t-elle mis en garde – les jurés devront motiver minutieusement leur verdict, pour anéantir une fois pour toutes la “théorie fumante” des avocats de Mehdi Nemmouche, qui “malheureusement fait des émules”.

“Vous devrez soigneusement motiver votre décision pour que justice soit rendue aux victimes, à notre institution judiciaire et à nos valeurs démocratiques, que certains pensent pouvoir atteindre en assassinant par les actes ou par les mots”, a-t-elle conclu, avant de laisser la parole à son confrère Me Marchand.

“Nous sommes choqués par cette défense”

“Quand des rumeurs disaient que ce type de défense complotiste et antisémite serait mis en place à ce procès, je me suis dit: ‘ils ne vont pas oser’. Et bien si, ils l’ont fait”, a démarré Me Marchand à l’entame de sa plaidoirie. “Nous sommes choqués, sidérés par cette défense qui manque de sérieux et de rigueur”, a souligné l’avocat d’Unia, qui a rappelé qu’il avait parfois collaboré avec Me Courtoy mais qui estime que son confrère a cette fois “mal travaillé”.

Il y a trois types d’antisémitisme dans ce procès : “ordinaire, terroriste, et dans le choix de la stratégie de la défense”, a-t-il poursuivi. En prononçant le nom d’Alexandre Strens avec un accent ambigu lors de l’audience préliminaire et en se faisant photographier aux côtés de Dieudonné en train de faire une quenelle, les avocats de Mehdi Nemmouche sont tombés dans “l’antisémitisme primaire”, ils ont manqué de circonspection de délicatesse dans le sens juridique du terme, a dénoncé Me Marchand.

L’antisémitisme terroriste est lui “consubstantiel au djihadisme”, a expliqué l’avocat en se basant sur les principes de base d’Al-Qaïda. Les islamistes reprennent les termes des antisémites notoires du 20e siècle (judéo-maçonnerie, complot, juiverie usurière…), il y a une “filiation du langage”, a-t-il fait remarquer. Les conseils d’Unia ont été “abasourdis” et “sidérés” par l’acte de défense, qui est “construit au cœur du complotisme antisémite”.

“Pour monter les communautés les une contre les autres”

“La défense a mal travaillé. Ils ont essayé de nous vendre un truc qui ne tient pas la route. Mais ma conviction, c’est qu’ils le savent. Et qu’ils savent que vous savez”, a précisé l’avocat aux jurés. “Ils s’adressent à l’ensemble de la population, au-delà du jury, pour monter les communautés les unes contre les autres, en disant ‘c’est encore un complot juif’. (…) Comme avec la pomme pour Blanche-Neige, on vous sert cette théorie du complot pour vous endormir”, a prévenu Me Marchand.

Cette défense, “c’est un naufrage complet”, a-t-il poursuivi. “Parce que l’ensemble des éléments apportés lors des débats pour justifier cette théorie complotiste ont été détruits. L’acte de défense est un champ de ruines. Ils sont perdus.” L’avocat d’Unia a également dénoncé un manque “d’humilité” dans le chef de la défense, qui soutient depuis le début du procès que les images des caméras de surveillance ont été truquées. “À un moment donné, quand on se dit que des choses sont étranges et qu’elles ne sont pas confirmées, il est du devoir de l’avocat de se rendre compte qu’il a fait fausse route et de venir admettre son erreur.”

Éviter cet antisémitisme “primaire”, “latent” et “tellement fort” est “le combat constant et quotidien d’Unia”, a-t-il encore rappelé. “Il faut réagir contre cela.”

“Rien n’est vrai”

Pour terminer sa plaidoirie, Me Christophe Marchand a voulu “tordre le cou de manière définitive” à l’acte de défense présenté par les avocats de Mehdi Nemmouche. Pour lui, “rien n’est vrai”, tout ce qui est présenté dans cet acte comme preuve de l’innocence de Mehdi Nemmouche au début des débats ne résiste pas à l’exposé des enquêteurs et des experts qui a été fait par la suite.

“On vous dit que l’absence d’ADN de Mehdi Nemmouche sur la porte d’entrée du musée prouve qu’il n’est pas le tueur: c’est faux, ça manque de rigueur ! L’expert a expliqué qu’on ne laissait pas forcément son ADN”, a exposé Me Marchand. “Les avocats de Mehdi Nemmouche affirment aussi que l’auteur a nécessairement appuyé sur la détente du revolver. Or, on ne retrouve pas l’ADN de Mehdi Nemmouche dessus. On vous dit que c’est impossible de ne pas laisser son ADN. A nouveau, pour les mêmes raisons, c’est faux”, s’est exclamé l’avocat.

“On vous dit aussi que le revolver présentait de graves problèmes de fonctionnement. C’est faux ! Les experts en balistique ont conclu qu’il était en parfait état de fonctionnement. Ensuite, concernant l’attitude de Mehdi Nemmouche lors de son arrestation à Marseille, on vous dit qu’il aurait pu s’emparer de la kalachnikov tirant 600 coups par minute. Non, il ne pouvait pas l’atteindre! Les douaniers l’ont expliqué”, a poursuivi Me Marchand.

“On est dans le négationnisme”

“Pour la photo du tueur, on vous parle d’un scandale d’état. On vous dit que l’image a été truquée, qu’on a enlevé les lunettes et qu’on a reconstruit un visage ! C’est faux ! Mehdi Nemmouche a été arrêté après la diffusion des images. C’est donc impossible. Il y a aussi la question des journalistes. On vous dit qu’il sont tous rentrés chez eux sains et saufs et que donc il y a un doute sur ce qu’ils ont vécu lorsqu’ils étaient otages en Syrie. On est là dans le négationnisme, on nie qu’ils ont subi des tortures”, s’est offusqué le pénaliste.

“On espérait trouver dans cet acte de défense une ébauche d’explication, mais il n’y a rien”, a conclu Me Marchand. “On a juste construit une stratégie visant à donner de fausses informations pour communiquer au-delà de vous, jurés. Vous, ils savent que vous ne marcherez pas là-dedans ! On veut atteindre une certaine communauté qui soutient toujours la même chose : c’est un complot juif ! On veut que les communautés se choquent les unes contre les autres.”

Me Marchand a ainsi clos les plaidoiries de la partie civile, en terminant par dérouler devant les jurés une large feuille, dressée par l’ensemble de la partie civile, contenant “les 31 preuves” contre Mehdi Nemmouche.

Avec Belga – Photo : Belga/Pool Frederic Sierakowski

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21 février 2019 - 14h00
Modifié le 21 février 2019 - 14h21